La légende de Binel de Philiber

Essai d'un conte Dammartinois pour les veillées modernes près des radiateurs électriques, nos enfants en grenouillères et couches culottes.

La carte du pays de Binel

 

Chapitre I


          II y a longtemps, bien longtemps était là une terre entièrement boisée parcourue de rus et rivières qui n'avaient aucun nom. Si la parole existait déjà, l'écrit n'était point connu de ses hommes frustres, chasseurs et cueilleurs de baies que seule la forêt pouvait fournir.
          C'était il y a longtemps quand les hommes vénéraient les astres, les éléments naturels, les végétaux, les animaux et ce qu'ils ne pouvaient comprendre. C'était il y a longtemps en effet. L'époque ou les fils des hommes vivaient dans la peur de tous les dangers que pouvaient procurer la forêt. Les communautés humaines étaient restreintes; séparées ou groupées. Ils vivaient dans ces bois dans une ou plusieurs cabanes, enterrées, la partie haute faite de branchage. Il reste dans nos bois alentour la trace de cercles remplis souvent d'eau et appelés mardelles. Ces gens étaient bien souvent charbonniers, d'autres fondeurs de métaux, l'élite fabriquait armes et outils nécessaires à leur survie.
          Ainsi, se passa le temps dans cette forêt sans nom pendant des siècles dérangé seulement par les Fades, Flambettes et bien des fées dansant au milieu des clairières la nuit près de feux gigantesques pour effrayer les pauvres gens. Cela se passait toujours pendant la grande lune et les Flambettes étaient de ces fées mal-aimées et redoutées des femmes de l'époque, car elles n'hésitaient pas à entraîner les hommes dans le libertinage et la débauche. C'était l'époque des fées et des druides ; des offrandes aux mares et aux arbres, celle des farfadets, lutins, éphères et autres personnages merveilleux. Ainsi longtemps la vie s'écoula. C'était l'ancienne croyance populaire de nos ancêtres Briards.

 


Chapitre II

 

          Puis un jour vint l’envahisseur romain , avide de conquêtes et remontant toujours de plus en plus loin vers le nord. Ces romains évitèrent soigneusement notre contrée , celle-ci étant propice à maint guet-apens , où beaucoup de leurs soldats périrent massacrés au milieu de la forêt. C’était l’époque de la conquête du grand Jules César empereur de Rome , en route vers les îles anglo-normandes. Puis , pas très loin de la Belgique actuelle il se heurta à un peuple farouche nommé les Morains.
          Ceux-ci , battus , furent asservis et déportés loin de leur pays d’origine pour venir ici suivant les volontés de César pour essarter cette forêt si dense et qui faisait si peur. Cette région fut appelée Brigia Sylva était comprise entre les deux rivières que l’on nomma par la suite petit et grand Morin. Peuple rude mais travailleur il se soumit à la puissance de Rome.
          La forêt fut bientôt essartée et plusieurs villages virent le jour dont Moressart aujourd’hui Mortcerf lieu défriché par les Morains. Longtemps dans la région ce défrichement dura , mais non sans heurt avec les autochtones de la forêt.
          Bien des années passèrent ainsi entre les Morains et le contact civilisé de Rome. Certains s’affranchirent et devinrent de grands propriétaires terriens avec leurs propres esclaves et leurs gens prélevés parmi les populations du pays dit maintenant » de Brie ». Ces nouveaux venus avaient maintenant acquis la prospérité et la richesse de cette nouvelle terre.
          Ainsi en était-il d’un dénommé Coppet , grand propriétaire du lieu ici bas et descendant de ces Morains affranchis au service de la puissance de Rome.

 

 

Chapitre III

 

          La Villa Coppet devint l'origine de l'habitat en ce lieu mais écrasa bientôt par l'impôt les gens alentours. Les révoltes qui s'ensuivirent furent appelées bagaude, contre le pouvoir de Coppet et de sa femme surnommée Becquenaude la mal-aimée, créature méchante, repoussante de par son odeur et manifestant peu de cas pour la vie humaine.
          Puis vint un jour ou Binel fut sollicité par les siens pour combattre cette autorité. Géant de 12 pieds de haut aux mains larges comme des battoirs, il se jura d'exterminer la puissance de la Villa Coppet pour délivrer son peuple. Ajustant sa grande hotte de bûcheron, solidement accrochée à son large ceinturon de cuir de sanglier il partit bientôt sous les vivas de la population vers la source du ruisseau qui approvisionnait Villa Coppet et située en cette vaste forêt au lieu dit de Hautes feuilles car les chênes y étaient particulièrement élevés et majestueux. En cours de chemin Binel ramassa tout ce qu'il pu trouver. Grosses comme petites pierres, branchage et bois mort se tassa, le tout dans son énorme hotte.
          Après deux lieues de sentiers parcourus, Binel arriva enfin à la source, la hottée lourdement chargée. Epuisé, il s'accorda un peu de répit, s'assit sur ce sol si meuble et marécageux que l'empreinte de son postérieur s'y trouva gravé pour de très longues années. Et depuis, la trace du postérieur de Binel est devenu un lieu de procession et vénération pour les habitants des hameaux alentours. Il s'endormit ensuite d'un profond sommeil.
          Mais chutttt ! ! ! laissons maintenant Binel au milieu de ses rêves.

 


Chapitre IV

 

          Enfin Binel se réveilla, bailla longuement et dit « Allons , il est maintenant temps d'en finir avec ce Coppet et sa maudite Becquenaude » puis d'une puissante rotation déversa sa lourde bottée en contrebas de la source.
          Pendant plusieurs semaines Binel jeta ainsi plusieurs milliers de bottées. Celui-ci était puissant, très fort et acharné. Bientôt se forma au bas de la source une vaste pièce d'eau retenue par d'énormes chênes tous plus grands les uns que les autres. Enfin, jugeant l'immensité de toute cette eau suffisante, Binel jeta sa hotte le plus loin qu'il le put. Celle-ci retomba près des Bordes pour y creuser un énorme trou d'ou surgit une nouvelle source, lieu appelé maintenant Sainte Aubierge.
          Repu de fatigue, Binel s'écroula en arrière, bras en croix dans un immense tas de fougères et la terre en trembla si fort, que par ondes successives se forma de suite la grande côte de Mauperthuis. Il ronfla là pendant trois nuits et deux jours rêvant à son projet d'anéantissement de la puissance Coppet.
          Mais chutttt !'.!!! laissons encore Binel au milieu de ses rêves.

 


Chapitre V

 

        Par manque d'eau, Villa Coppet se mourrait. Sans eau les légumes se flétrissaient peu à peu et les animaux mourraient. Les vaniteux habitants de ce village piochaient maintenant dans leur garde-manger, s'abreuvant le matin de la moindre petite goutte de rosée. La fière et cruelle Becquenaude devenue folle de rage maigrissait a vue d'œil et ne pouvant plus se laver se trouva bientôt couverte d'une épaisse couche de crasse et plus grave de pustules. De colère son visage se déforma en un affreux rictus et son époux Coppet s'en prit de plus belle aux pauvres gens alentours, les harcelant sans relâche, volant leur moindre nourriture, la plus petite des gouttes d'eau.
        Mais que faisait donc Binel, le sauveur en qui ils croyaient tant ? pas de nouvelle depuis longtemps maintenant. Avait-il fuit les laissant là à leur triste sort? Ils en vinrent bientôt a le maudire, lui jeter des sortilèges le tout agrémenté de divers philtres confectionnés à base de bave de crapaud, de peau de salamandre desséchée et autre pharmacopée de leur cru.
        Mais , que faisait notre ami Binel ???????????????????????????

 


Chapitre VI

 

        Au troisième jour de son sommeil, Binel se réveilla et bailla si fort que son haleine empuantie l'air jusqu'à proximité de Coulommiers appelé par la suite monte-haleine et transformé de nos jour en monte à peine, là ou se situe la déchetterie, puis avisant l'étendue de toute cette eau et le pourquoi il était ici se dit « maintenant Coppet et ton palais doré moi, Binel, je me fais fort de t'envoyer parmi les elphes et les flambettes et toi Becquenaude, bien loin, où une frontière invisible se formera et que tu ne pourras franchir »
        De colère, Binel tira si fort sur la retenue d'eau emprisonnée par les chênes de la forêt d'Hautefeuille qu'une montagne liquide dévala le petit vallon formé par l'ancien rû, emportant du même coup notre bon Binel a une vitesse si folle qu'il ne pouvait plus maintenant que subir la puissance des flots. De plus en plus vite, l'eau emportait tout sur son passage et notre géant Binel, prenant très peur, essaya de regagner la rive. Tous ses efforts furent vains et le village tant honni de Coppet et de la Becquenaude était si proche que Binel, d'un grand coup de talon dans le sol, tenta de freiner sa course et s'en suivi toute une série de roulés-boulés de celui-ci. Depuis ce lieu fut appelé Plessis Gadin, Grandin et enfin sainte-Avoye.
        Projeté en cette immense vague, Binel arriva avec si grande violence sur Villecoppet que bientôt toute le village en fut anéanti. Coppet, qui venait dit-on aux nouvelles avec son lieutenant d'armes Blaizaine et ses soldats, fut balayé comme fétu de paille et envoyé dans un très profond trou où se forma un premier étang. Binel continuant sa course malgré lui et ne pouvant plus s'échapper a un tel déferlement de flot se retrouva tout de go face à la perfide Becquenaude et à ses filles encore plus méchantes qu'elle. Par ce choc, Becquenaude fut éjectée comme au bowling loin de là et certaines gens affirment que cul par dessus chemise serait retombée à Voulangis près de Crécy. De ce terrible choc Binel fît une belle pirouette et tapa du front le domaine Coppet qui se transforma, ma foi en un bien bel étang.
        Poursuivant sa course Binel arriva aux écuries de Coppet d'où les chevaux s'étaient enfuis depuis longtemps faute de nourriture et d'eau et dont seule la saleté de leurs excréments restait par manque de nettoyage. Binel, toujours emporté ne pouvait plus rien contrôler désormais et explosa la maçonnerie des dites écuries du palais Coppet. Ce qui fit un troisième étang.
AINSI VILLECOPPET DEVINT VILLE PERDUE OU COUPEE.


Chapitre VII

 

        Pendant ce temps là, Binel continuant sa course folle arrivait sur la rivière du grand Morin. Ne pouvant toujours pas ralentir sa descente il s'arque-bouta de toutes ses forces pieds en avant comme le font de nos jours les skieurs nautiques. Racla si fort le fond de la rivière qu'en l'embouchure du rû et l'arrivée sur la grande rivière dite Marne se creusa un lit si profond que depuis le Morin sur cette portion se retrouva navigable et que plus tard tous les villages en aval s'enrichirent et ceci grâce au commerce du bois, céréales et matériaux divers emportés vers la capitale par les nefs de cette époque.
        De ce temps, plus personne ne sait ce qu'il est advenu de Binel. On murmure que plus loin la rivière de Marne il s'engouffra dans le fleuve de Seine, celui qui traverse la grande capitale et dépassé par la puissance qu'il avait déclenchée passa sous les ponts des Paris en agitant les bras d'un air si heureux que ceux-ci se demandent encore pourquoi tant de joie se lisait sur ce rond visage. Enfin, Binel disparu de leur vue et malheureusement jamais plus personne ne le revit.


 

 

 

A suivre .....

La suite dans deux semaines !